Focus sur le Chaâbi algérois
Publié le 24 Janvier 2008
Né au milieu des années 1920, le chaâbi est une musique issue de plusieurs influences. Berbère, andalouse et chants religieux : « On a fait un cocktail et ça a donné la musique chaâbi. » L’inventeur de cette boisson musicale au goût nouveau, de ce « son magique qui résonne » encore dans le cœur et les oreilles de ses anciens élèves, s’appelle Cheikh – Le Maître – El Anka (Hadj M’hamed El Anka 1907-1978). Sa recette est faite d’emprunts et de mélanges, de métissages et d’adaptations, de transformations mais aussi d’innovations musicales.
« Une note de fraîcheur pétillante » Avec ces ingrédients El Anka donne naissance à un style musical original et personnel qui remporte immédiatement un formidable succès : « Le public a marché. Il a trouvé ça merveilleux. […] Dans toutes les rues on entendait cette musique […] Tout le monde chantait ça. » Cette musique nouvelle à l’audience populaire - chaâb signifie le peuple - touche tous les habitants de la Casbah d’Alger, berceau du chaâbi et ville natale d’El Anka dont la famille est originaire de Kabylie. Musulmans, juifs, Italiens, Espagnols : tous vivent au rythme du chaâbi… À l’époque, c’était « l’harmonie de vie entre toutes les communautés. Tout le monde se fréquentait. » Ce « Blues de la Casbah » est un joyeux mélange. El Anka apporte à la musique une « note de fraîcheur pétillante » mettant « la mélodie au service du verbe ». En plus de cinquante ans de carrière, le maître du chaâbi a interprété près de 360 chansons et enregistré plus d’une centaine de disques.
De l’école buissonnière au conservatoire Le frère de Berkani était un « grand joueur de luth ». Dès qu’il en avait l’occasion, il se faufilait parmi les grands pour l’écouter : « C’était comme l’école buissonnière. » Devant le succès rencontré par le style musical du chaâbi, El Anka ouvre une classe au conservatoire d’Alger. Jusqu’à deux cents élèves se pressent alors dans une petite salle au sous-sol du bâtiment. Très vite, tout le monde grimpe au 5e étage où il y a l’espace nécessaire pour accueillir les amoureux de la musique chaâbi. Ces jeunes élèves, enfants juifs et musulmans issus de toutes les communautés de la Casbah, sont venus pour apprendre la musique au goût du jour. Toutes origines et religions confondues, ils sont réunis par leur amour commun du chaâbi. Par la suite, les élèves de la toute première classe créée par El Anka joueront ensemble pendant des années au sein du même orchestre, jusqu’aux « événements », la guerre. Les musiciens se souviennent : ils priaient ensemble ; l’engouement était tel que les musulmans allaient avec leurs copains juifs à la synagogue pendant le Sabbat, pour écouter du chaâbi.
Une victime méconnue de l’Histoire Avec la guerre, une page se tourne. Sommées de choisir entre « la valise et le cercueil », des familles entières prennent le chemin de l’exil. D’autres quittent Alger pour sa périphérie ou les campagnes. Certains musiciens restent à la Casbah mais, même pour eux, le rythme est brisé. Tout ce qui les a marqués, formés pendant leurs années d’enfance et de jeunesse appartient au passé. Ils sont séparés par l’Histoire mais aussi arrachés à une partie d’eux-mêmes. Quelques uns cessent de jouer, certains n’arrêtent jamais. D’autres reviennent à la musique après avoir fait tout autre chose comme Maurice el-Medioni : il ouvre une boutique de tailleur d’abord à Paris puis à Marseille (le soleil y est plus proche d’Alger que celui de Paris…). C’est parvenu à un âge vénérable qu’il retourne à ses premières amours. Toujours curieux, il explore de nouvelles pistes, expérimentant de nouveaux mélanges musicaux dans la continuité de ce qu’il a inventé dans sa jeunesse, le piano oriental : un piano acheté aux Puces par son frère aîné et sur lequel il jouait des airs de sa composition, des cocktails sonores : un peu du boogie woogie auquel l’ont initié les GI’s basés à Alger pendant la guerre ; du jazz, qu’il adore ; les sons latino, découverts avec les soldats américains d’origine portoricaine ; et, bien sûr, le chaâbi. En 1997, Maurice retourne à la musique en menant une carrière de soliste. Il enregistre l’album Café Oran, suivi en 2000 de Pianoriental et de Samai andalou. Suit un autre disque en 2006, Descarga Oriental, The New York Sessions, avec le percussionniste Roberto Rodriguez, un « Cubain de New York ». Maurice et Roberto sont tous deux récompensés en 2007 par un BBC World Music Award, catégorie « Culture Crossing ». Plus récemment (août 2010), Maurice a participé avec d’autres artistes au Grand Ramdam au parc de la Villette à Paris, en présence du Ministre de la culture Frédéric Mitterrand et de Jack Lang.
El Anka, le phénix… Ferkioui a également délaissé le chaâbi après la guerre, malgré son diplôme de chef d’orchestre obtenu dans la classe d’El Anka au conservatoire d’Alger. C’est pourtant lui, aidé d’un petit coup de pouce du hasard, qui a été le déclencheur des événements : le film ; l’orchestre El Gusto qui se reforme pour des concerts exceptionnels ; l’enregistrement d’un CD. Devenu miroitier, Ferkioui accueille un jour de 2003 dans sa boutique de la Casbah une jeune architecte algéro-irlandaise. Ils bavardent… L’aventure commençait ! La jeune femme se lance dans une entreprise qui n’est pas des plus faciles : retrouver les anciens élèves d’El Anka au conservatoire d’Alger. Drôle de clin d’œil des mots : en dialecte algérois, El Anka signifie le phénix, cet oiseau légendaire qui renaissait de ses cendres.
C'est dans les dédales de la casbah d'Alger, pendant la colonisation française, qu'est né le genre chaâbi. Imaginé par les paysans nouvellement arrivés en ville, souvent des Kabyles, le chaâbi (signifiant en arabe « populaire ») puise dans le cannâa, la musique classique andalouse, et davantage encore dans le moghrabi, soit précisément la tradition populaire. Art des rues, des faubourgs et du quotidien, cela ne l'empêche pas de s'inspirer de la poésie orale héritée des qasidas et autres épopées bédouines. Bien avant l'apparition du medh qui est l'ancêtre du chaâbi que nous connaissons aujourd'hui, Alger avait son propre genre musical populaire qui est: l'âroubi qui dérive de la çanaâ algéroise. Par moghrabi, on entend: textes du melhoun marocain et non le chant en lui-même car les modes musicaux marocains sont différents de ceux de l'Algérie. Les juifs d'alger étaient versés dans l'andalou, le haouzi et l'âroubi mais le chaâbi était l'apanage des arabes de la casbah.
Le chaâbi شعبي est un genre musical propre à la ville d'Alger. Il mêle avec justesse des instruments orientaux à ceux venus d’Occident. Les chants du chaâbi, portés par l’idiome algérois ou le kabyle, se nourrissent de poésies anciennes mais aussi de textes originaux très souvent actuels. Cette musique urbaine d’Afrique du Nord remplit une fonction similaire à celle du fado portugais, du tango argentin, du rebetiko grec ou du blues américain. Un langage populaire qui trouve sa source loin de la bourgeoisie et de l’élitisme artistique. Avec de nouveaux instruments tels que le mandole et le banjo, des compositions innovantes, des chansons nostalgiques, le chaâbi, poétique et raffiné, est rapidement devenu l'âme d'Alger. Une musique qui parle des maux de la société, du tiraillement entre modernité et traditions, du quotidien du peuple algérien.
Origine et signification
Šaʿabī signifie « populaire » en arabe (شعب, šaʿab), « peuple », c'est un des genres musicaux le plus populaire d'Alger, il faut comprendre par populaire comme genre commun ou comme genre par défaut qui constitue le versant "rugueux" de la musique savante issue de la culture arabo-andalouse.
Au XIXe siècle, la décadence a commencé avec la succession de guerres et la colonisation. Mais on voit tout de même, au XIXe et au début du XXe, apparaître certains poètes comme Kaddour Ben Achour (1850-1938), Abdelkader Bentobdji (mort en 1948). Des artistes fortement imprégnés de la poésie ancienne.
Il y a eu aussi un trou entre le XVIIIe et le XIXe, alors que les guerres et la colonisation ont fait un travail de sape terrible. Mais toutefois le patrimoine a été préservé.
C'est Cheikh Nador, qui a su capter et faire fructifier l’héritage du Melhoun, qui devient précurseur du Châabi et qui lance El Hadj M'Hamed El Anka maître et créateur du genre.
Ce style de musique originellement appelé « medh », est définitivement baptisé « chaâbi » en 1947 par le musicologue Safir El-Boudali.
Après la vague d’immigration des Maghrébins, venus en France pour trouver du travail, le chaâbi arrive à Paris via Marseille. Il se chante et se joue dans les bistrots des banlieues industrielles. Dahmane El Harrachi (1925-1980) et son fils Kamel qui reprendra le flambeau.
Quand le chaâbi s’adresse en priorité aux Algériens loin de chez eux, Dahmane El Harrachi chante l’exil intérieur et l’exil extérieur, les difficultés de la vie quotidienne loin de la mère patrie, les tourments de l’amour, la nostalgie du bled.
Rôle du texte dans la chanson chaâbie
Selon Abdelkader Bendamèche, le texte a toujours été à la base de tout, depuis une dizaine de siècles. Il y a quatre ou cinq siècles, il n'y avait que le texte. Les poètes ont bel et bien existé avant les musiciens et avant les chanteurs. Au XVIe siècle, le poète fait office de journaliste ou de chroniqueur. La décadence, les guerres, le mouvement de colonisation ont créé une fracture dans ce mouvement poétique généralisé dans cette région du monde. Encore actuellement avec, toujours en toile de fond, l’écho du patrimoine, la plainte ancestrale, la nostalgie du pays. Selon le musicien et joueur d’ukulélé Cyril Lefebvre, « les gens attaquent fort, s’expriment violemment, ce qui rapproche à certains égards le chaâbi du blues ». Amine Dellai rappele que derrière chaque chanson du chaâbi il y a un nom à retenir, celui d’un homme ou d’une femme qui a mis ses qualités artistiques et ses capacités d’expression au service d’une cause sacrée.
Instruments de musique
Le chaâbi mêle les instruments orientaux du classique arabo-andalou à d’autres venus de la musique classique occidentale. On y trouve la derbouka (percussions) et le tambourin, mais aussi le mandole (sorte de grosse mandoline aux sonorités de guitare, munie de quatre cordes doubles en métal), le violon et le banjo, sans oublier le qanûn. Les violonistes de l'arabo-andalous et du chaâbi utilisent toujours leur violon à la verticale. Quant au mandole, il a remplacé l’oud, le luth moyen-oriental. Il n’est pas rare d’entendre aussi le piano. En revanche, aucun instrument électrique n’est admis, hormis parfois le clavier (pour les quarts de ton).
Interprètes
- M'Hamed El Anka
- Maâzouz Bouadjadj
- Boudjemaâ El Ankis
- El Hachemi Guerouabi
- Amar Ezzahi
- Kamel Messaoudi
- Abdelkader Chaou
- Dahmane El Harrachi
- Cheikh El Hasnaoui
- Hamid Bedjaoui
- Reda Doumaz
- Aziouz Raïs
- Nadia Benyoucef
- Abdelmadjid Meskoud
- Mourad Djaâfri
- Radia Adda
- Lili Boniche
- Reinette l’Oranaise
- Maurice El Médioni
- Kamel El Harrachi
Bibliographie
Les grands maîtres Algériens du Chaâbi et du Hawzi - C