Musique bédouine
Publié le 15 Décembre 2007
La musique bédouine est la musique de la tradition orale et est appelée communément « sahraoui » ou « bédaoui ». La musique populaire constitue une part importante de la sensibilité culturelle des bédouins. Depuis les temps les plus anciens, ils expriment à travers ces chants, leurs sentiments, leurs espoirs, leurs aspirations et leur conception du monde environnant. Les tribus bédouines nomades du Proche-Orient perpétuent dans leur vie quotidienne une ancienne forme de musique arabe rurale qui accorde une place prépondérante au texte, et la poésie chantée. À travers le pays, les bédouins colportent leur chants avec une instrumentation rudimentaire, flûte en roseau (gasba), large tambourin (bendir) et percussion longiline (guellal).
Les chanteurs du début du siècle tels Cheikh Smati, Ben Guetoun de l'Oasis de Sidi Khaled, Abdallah Ben Kerriou ont laissé d'importants recueils de poèmes, dont une grande partie est chantée régulièrement par les chanteurs de malhoun (poésie populaire).
La région du nord du Sahara (Biskra et Sidi Khaled) est très riche en genres et en variétés musicales. Les poètes et les chanteurs sont généralement accompagnés par deux ou trois flûtistes qui utilisent la technique du souffle continu. Le bourdonnement délicat de ces flûtes-gasba unique par sa sonorité et son timbre, nous immerge dans l'univers du poète bédouin, marié aux riches subtilités mélodiques de cette musique, nous plonge dans le cœur même du désert. Poèmes évoquant le sable et l'immensité, poèmes où la voix du poète et les mots profonds qu'il déclame sont le mariage sublime de ces rencontres. Cette musique reste aussi l'une des plus proches des modes musicaux que l'on trouve au Moyen-Orient, témoignant un nomadisme lointain. Ce genre se distingue par sa simplicité et par la véracité des images qu'il véhicule. Il exprime la beauté de la nature et la réalité de la vie paysanne qui avait conservé intactes les mœurs et les qualités qui faisaient l'identité du peuple, lequel menait une vie saine et vertueuse, veillant sans cesse à l'observation des traditions.
Le mariage dans la culture bédouine
Si de nos jours, les mariages ne sont plus comme autrefois arrangés entre les familles, ils conservent néanmoins les aspects de la tradition ancestrale dans un soucis de cohésion sociale. Une fois les négociations préliminaires achevées, a lieu la demande en mariage officielle tolbah. les chefs de la famille du jeune homme rassemblent un groupe de notables (jaha) et se rendent auprès de la famille de la jeune fille pour faire leur demande. La présence des notables est indispensable car elle témoigne d'une part du respect manifesté par la famille du jeune homme envers la future belle-famille et garantit d'autre part l'accord de celle-ci. Chez les musulmans, cette rencontre permet encore de nos jours d'établir le contrat de mariage.
De la musique bédouine au contexte du raï oranais
Son foyer, Oran, un port méditerranéen où vécurent ensemble Nords-Africains, Espagnols, Italiens. Par ses contenus transgressifs par rapport aux codes de la culture traditionnelle maghrébine, il est comparable par certains aspects à la Rébétika[1]..., même si les artistes ne sont pas tous des marginaux comme les rebetes du Pirée dans les années 30.
Courant les esplanades des villes et les souks des villages, les bédaouis sont réputés pour leurs improvisations musicale de chansons présentant des thématiques, des formules, des clichés puisés dans la vie quotidienne, dans la langue quotidienne. Ces chants sont créés et diffusés dans les milieux populaires et rompent avec le langage précieux et la pratique codifiée des musiques établies. Ils privilégient la fusion de genres musicaux et la liberté de ton, cultivent l’irrévérence, voire la provocation, en évoquant des passions impossibles, des amours grivoises, ou en prenant l’allure de satires désabusées et de prophéties alarmistes.
Ces chanteurs, souvent accompagnés de danseuses, interprètent aussi les succès de la poésie bédouine, des textes à la métrique rigoureuse, à la langue métaphorique et au vocabulaire recherché. On affuble du nom de cheikh, maître, les auteurs interprètes des personnalités distinguées de l’art bédouin. Ils ont influencé des générations de chanteurs raï. Animateurs de cafés maures, ces cheikhs (ou chioukh, en arabe) se produisent souvent chez leurs compatriotes juifs, tenanciers de débits de boissons où l’on sert de l’alcool (l’administration coloniale interdisait aux cafetiers musulmans de se procurer la licence pour en vendre). On croise souvent les compositeurs bédouins dans le café du virtuose de la musique arabo-andalouse Saoud Médioni, dit l’Oranais, un séfarade et chanteur violoniste virtuose du style hawzi qui tenait un café à Oran, - qui était le rendez-vous de tous les mélomanes, les musiciens, les paroliers et les vedettes locales (les théâtres étaient sous contrôle colonial et interdisaient à cette époque toute expression algérienne) et le mentor de Reinette dite l’Oranaise, où dans les bistrots qu’animent Maâlem Zouzou ou Eue Moyal alias Lili Labassi, autres maîtres juifs de l’art hérité de l’Espagne arabo-musulmane.
Vivant dans le milieu urbain, les plus célèbres des poètes bédouins s’appellent Cheikh Hachemi Bensmir (1877-1938), dit "Taïr Labiadh" (l’Oiseau Blanc), Cheikh Benyekhlef Boutaleb (1883-1957), Cheikh Madani (1888- 1954), Cheikh Hamada (1889-1968)[2], Cheikh Khaldi[3] qui se singularise par des poèmes raffinés qui vantent ses multiples conquêtes. Parmi elles, la fameuse Bakhta, à qui il consacrera plus de cinquante poèmes! Il figure comme l'une des références majeures pour les chanteurs de raï ancien, mais aussi pour les nouvelles stars du genre, à l’exemple de Khaled influencé par les chanteurs comme Ahmed Wahby qui reprend Bakhta sur l’album N’ssi n ‘ssi. Plusieurs de ses morceaux sont aujourd'hui des standards: tous les chanteurs de raï ont repris ce qui est considéré comme un classique du genre, Yad del marsam (Ô Sanctuaire), chant composé dans les années 20 par le barbier Cheikh M’hamed dit " Er-Rouge " (le Rouge): " Ô sanctuaire, redis-moi ce qui s’est passé ici/Car c’est bien ici que nous avons vécu des instants merveilleux/Ma gazelle et moi/Je te tiens un langage gracieux/Mais tu restes sourd et muet et ne me réponds pas. " C’est grâce à ce poème qu’un adolescent au seuil d’une immense carrière se fera connaître dans tout le pays dès 1982, Cheb Mami...Le cadet de la chanson raï Cheb Najim, enregistrera avec Cheikha Remitti, quelques jours avant sa mort.
Respectueuses d'une poésie écrite et complexe, des femmes souvent déracinées, délaissées, veuves, divorcées ou répudiées, et régulièrement sans ressources, donnent au raï ses aspects les plus sensuels en parlant de sexe sans fioritures ni préciosité. Les anciens Oranais se souviennent de ces chanteuses aux voix sulfureuses : Zohra bent Ouda, Soubria bent Menad, Bnat (les filles de) Baghdad, Kheira Guendil, Snabbiya, Fatma el Khadem, Mama e! Abassia, Cheikha Aïchouch, Zohra el Relizania ou encore Aïcha el Wahrania qui chantera à la fin des années 20: " Mama tu as le vin mauvais/Et ça te rend querelleur/Tu m’as habituée à tes visites/Puis tu as cessé de venir/Marna qui t’a poussé à me tourmenter/Tu me plonges dans l’inquiétude. " En raï ancien ou en version électrique, ce type de chant fait partie jusqu’à aujourd’hui du patrimoine féminin, surtout celui des meddahates.
Ces orchestres traditionnels féminins se produisent alors pour un public féminin lors des fêtes familiales où seuls les petits garçons accompagnant leurs mères et sœurs sont admis, comme au hammam. Plusieurs chanteuses ou chanteurs de raï actuels ont fait leurs classes au sein des meddahates. Abdou, feu cheb Madona, Houari Manar ou plus récemment El Houari Sghir faisant partie du mouvement masculin actuel.
Ces femmes, qui vantent les embrasements charnels, les infidélités cruelles, la griserie éthylique, chantent aussi les odes mystiques musulmanes, d’où d’ailleurs leur nom de laudatrices, meddahate. Nombre de stars féminine du raï en sont issues comme Zahouania[4], Fadela, et même le fameux chanteur Cheb Abdou qui exerce son talent tout en assumant sa féminité et ses amours impossibles[5] .
Leur répertoire religieux a été largement nourri par les poèmes mystiques de Abdelkader Bentobji (1871-1948), auteur du fameux chant interprété jusqu’à nos jours par les chanteuses et chanteurs de raï, y compris ceux nés en France comme Faudel : Abdelkader ya bou el aâlem (Abdelkader l’homme à l’oriflamme). Cet éloge du saint Sidi Abdelkader El Djilani (XVe siècle), créateur de l’obédience soufie la plus populaire du Maghreb, ouvre généralement les prestations des meddahate tout comme le poème mystique de Kheïra Essabsajiya, décédée en 1940, célébrant le saint patron d’Oran, Sidi El-Houari: " El Houari seigneur des meilleurs/M’a appelée d’urgence/ Après m’avoir ravi l’esprit il s’en est allé/Me laissant anéantie (d’amour) pour lui/El Houari est trop loin de moi/ Alors que son amour dans mon coeur est si puissant. "
Parfois la poésie chantée croise la politique. En 1931, Houari Hanani écrit S’hab el baroud (Gens de la poudre), une réponse patriotique aux commémorations du centenaire (1930) de la colonisation de l’Algérie. Cette chanson exaltant les vertus et la fierté des vaincus d’hier, le courage des guerriers affrontant l’armée coloniale, deviendra l’un des plus grands succès de Cheb Khaled en 1983 à cause de son refrain prophétique: " Les gens de la poudre avec leurs fusils/Portent les bouches de canon la mèche allumée/Nos chefs ont délibéré et décidé/Ils ont voulu réaliser ce jour de célébration. "[6]
Parmi les diverses sources qui ont alimenté le raï, retenons le melhoun, souvent porté par des accompagnements bédouins traditionnels (tambours sur cadre, percussions guellal, flûtes droites en roseau); cette poésie chantée qui avait fini par subir l'influence de la musique orientale populaire égyptienne va servir de réservoir thématique principal du style musical.
Par rapport à l'occidentalisation progressive de la musique du Machrek, et en particulier à la modernisation de la musique égyptienne le raï réussi à s'imposer comme un phénomène original plein de potentialités nouvelles. Un certain caractère d'authenticité, que les autres expressions modernes de la musique arabe ont perdu, dérive de son urgence de communiquer.
Notes et références de l'article
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↑ Parmi les différents styles musicaux Grecs, ils existent des chansons que l’on appelle Rébétika. Ce sont des chansons simples, que chantaient il y a très longtemps les gens simples, pauvres du peuple. Selon les informations que l’on a retrouvé, les premières chansons de style Rébétika sont apparues vers la fin du 19e siècle, même si personne ne sait exactement. On dit par contre que ces chansons sont nées dans les régions du vieux Athènes, à Constantinople, à Evroupoli (île de Syros aujourd’hui), à Alexandrie, et Thessalonique.
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↑ Cheikh Hamada est le chantre éternel du chant bédouin. Il a fait partie du bouillonnement musical de l'entre-deux-guerres (puisque le sort de l'Algérie était lié à celui de la France qui se remettait à peine de la Première Guerre mondiale. Ce poète hors pair a enclenché la citadinisation du Bédouin traditionnel. Phénomène majeur dans la musique maghrébine. Il aura eu de son vivant révolutionné à lui seul la tradition musicale dans le genre bédouin et ce, en réussissant de façon magistrale à brosser la poésie citadine entre hadri, hawzi et aroubi. Dans ses compositions, la gasba sera remaniée et à laquelle il lui apportera une touche propre à la région du Dahra, influençant ainsi le répertoire chaâbi qui entre sous sa férule, dans le mode bédoui. Il est une illustration parfaite des racines du raï pop/modern actuel qui a connu ses débuts dans la province d’Oran (Algérie). Ami intime de Mohamed El Anka, autre artiste algérien de référence, ils avaient pour habitude, lors de dîners philosophiques avec les poètes, les musiciens comme Hadj Lazoughli, Hachemi Bensmir, Abdelkader El Khaldi, d'échanger, de travailler ensemble des qaçayds.
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↑ Son répertoire va du registre officiel, célébrant la religion, l’amour et les valeurs morales jusqu’au registre irrévérencieux (interdit par la morale islamique rigoureuse) parlant de l'alcool et des plaisirs de la chair.
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↑ De son vrai nom Halima Mazzi est née en 1959 à Oran d'un père marocain et d'une mère algérienne. D'abord chanteuse dans un ensemble féminin de meddahates, c'est en 1981 qu'elle réalise son 1er enregistrement. La reconnaissance arrive 5 ans plus tard avec "Khâli ya khâli" (Mon oncle, oh mon oncle, 1986) qu'elle interprète en compagnie de Cheb Hamid. 1987, c'est le succès avec "El Barraka" (La Baraque), une chanson sulfureuse qu'elle chante en duo avec Cheb Hasni
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↑ Avec des ondulations frénétiques, des déhanchements saccadés, se présentant maquillé, portant des bijoux, et de la lingerie fine, Abdou reprend avec succès en 1997, Madre Madre une chanson du répertoire féminin. Il n'hésite pas à déclarer sa passion amoureuse pour un homme : « Aimer les filles ou les garçons, c'est aimer de toutes façons... ». Le thème de ses chansons évoque régulièrement ses relations avec les hommes, et ses amours impossibles.
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Photo Mondomix