Aïssâwa
Publié le 7 Février 2008

Des confréries religieuses, il en existe beaucoup au Maroc, mais les Aissaoua figurent parmi l'une des plus importantes dans le monde arabo-musulman et plus spécialement au Maroc où elle reste très populaire. La confrérie des Aïssâwas (الطريقة العيساوية) est un ordre mystico religieux fondé à Meknès au Maroc par Muhammad Ben Aïssâ (1465-1526 - 882-933 H.), surnommé le « Maître Parfait » (Chaykh al-Kâmil). Les termes Aïssâwiyya (Isâwiyya) et Aïssâwa (Isâwa), issus du nom du fondateur, désignent respectivement la confrérie (tariqa, litt. « voie ») et ses disciples (fuqarâ, sing. fakir, litt. « pauvre »).
À l’origine clairement orthodoxe, la confrérie des Aïssâwa est devenu un phénomène social complexe, à mi-chemin entre le sacré et le profane, du domaine privé et public et des cultures savantes et populaires.

Les Aïssâwas sont célèbres dans le monde arabe pour leur musique spirituelle caractérisée par l'utilisation du hautbois ghaita (syn. mizmar, zurna), de chants collectifs d'hymnes religieux accompagnés par un orchestre de percussions utilisant des éléments de polyrythmie. Leur complexe cérémonie rituelle, qui met en scène des danses symboliques amenant les participants à la transe, se déroule d’une part dans la sphère privée au cours de soirées domestiques organisées à la demande de particuliers (les lîla-s), et, d’autre part, dans la sphère publique lors des célébrations des fêtes patronales (les moussem-s, qui sont aussi des pèlerinages) et des festivités touristiques (spectacles folkloriques) ou religieuses (Ramadan, mawlid ou naissance du Prophète) organisées par les États marocains et algériens.
Les Aïssâwa considèrent leur répertoire de poésies (qasâ`id) comme un « signe distinctif » original et exclusif, inconnus des autres ordres religieux et même de la zâwiya-mère de Meknès.
D’après eux, c’est sous l’impulsion des poètes du malhoun que la pratique des chants spirituels fut peu à peu introduit dans le rituel, vers la fin du 17ème siècle. Chantées en idiome local ou en arabe classique, ces chants sont soutenus par un accompagnement instrumental (joué par cinq ta’rîja-s, la tassa, la tâbla et un bendir) discret et chaloupé en deux temps appelé hadârî.
Les thèmes des poésies chantées par les Aïssâwa sont les louanges à Dieu, au Prophète, au fondateur de la confrérie et à tous les saints (walî-s) de l’Islam.
Le « récitant du dhikr » (dhekkâr), les musiciens expérimentés et le muqaddem se succèdent un à un pour chanter ces longs vers en soliste lors de la lunassa (« se tenir compagnie »). La structure des poésies est composée de vers en rimes et du refrain, appelé la « lance » (harb, qui est aussi le titre de la chanson), reprise en chœur par la « chorale » des musiciens (le terme français « chorale » semble se substituer au mot arabe de raddada, « répétiteur »).
Disposition classique d'une troupe de musiciens
Malgré leur musique particulièrement roborative, les Aïssâwa ne bénéficient pas du même engouement que les gnaoua auprès du public occidental. Cependant, comme les gnaoua et les Hamadcha - auxquels on les confond sans cesse - les Aïssâwa ont toujours été décriés et localisés au plus bas de la hiérarchie confrérique. Deux raisons principales à cela :
- 1ère raison : la confrérie des Aïssâwa possède dans son rituel cérémoniel des éléments non islamiques apparus au fil des siècles, tels que l’exorcisme et les danses de transe.
- 2ème raison : les disciples Aïssâwî furent recrutés traditionnellement parmi les populations paysannes du Maghreb, ou défavorisées et marginalisées des grands centres urbains. Dans un Maghreb traversé par une modernité conservatrice (l’islamisme politique) et une grave crise économique, il est aisé de comprendre que cette confrérie cristallise les tensions et les contradictions de la société en raison de l’image stigmatisante que l’opinion majoritaire lui renvoie.