Jil Jilala

Publié le 30 Juin 2008

Jil Jilala (جيل جلال)  est une structure musicale marocaine créée à Casablanca le 28/02/1972 composée de six membres dont un membre féminin. La musique de ce groupe est profondément marocaine. Au son de musique folk, les paroles de « la génération » Jilala paroles de la vie de tous les jours d'un peuple aux multiples problèmes sociaux. C'est cette simplicité néanmoins pertinente qui fait que le public a pu se connecter si facilement avec la musique de Jil Jilala et leur a permis de s'attacher rapidement à ce groupe devenu un patrimoine populaire culturel authentiquement marocain.

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Le groupe Jil Jilala ( جيل جيلالة) s'inspire des mélodies les plus profondes et des rythmes du folklore marocain, mais les paroles des textes restent  plus que jamais d'actualité. Le groupe ne tardera pas à se forger une renommé dans le monde de la musique. Le 7 octobre 1972, les quatres jeunes marrakchis donnèrent leur premier spectacle devant plus de 2000 spectateurs. Les succès se succédèrent et trois mois plus tard ils jouèrent à l'Olympia de Paris.

"Jil Jilala signifie "génération Jilala" du nom de la grande confrérie des Jilala du Maroc, explique Moulay Tahar (dans un article de F.Bensignor). La confrérie des Jilala demeure actuellement la confrérie marocaine la plus mystérieuse, ceci en raison de l'absence d'étude leur étant consacrée et du manque d'enregistrement sonore. Contrairement à d'autres confréries, comme les Issawa ou les Hamadsha, les Jilala circulent par petits ensembles groupant au plus cinq individus. Ils accordent une place essentielle au chant, mais utilisent également deux flûtes en roseau, dites qasba et les indispensables bendir.

La Tarika Jilalia est une voie spirituelle très répandue dans le monde musulman. Elle fut fondée au 12ème siècle par le grand saint Moulay Abdelkhader Jilali en Irak. Il est considéré parmi les éminents théologiens et grands maîtres du soufisme. Les centres se rattachant à son école se propagèrent partout, surtout en Occident musulman. La voie Jilalia, est dite aussi Kadiria. Aujourd'hui il y a deux groupes Jilala et Jilaliyates (les femmes Jilaliyates et les hommes Jilala).

C'est-à-dire une génération s'inspirant des objectifs de la confrérie à travers l'art musical. Au Maroc, en temps de décadence, les confréries ont pour fonction de reprendre les choses en main pour réguler la société. La troupe fondé, conjointement par My Abdelaaziz Tahiri et Mohammed Derham, s'inspire des objectifs de la confrérie à travers l'art musical. A l'époque, les confréries ont pour fonction de reprendre les choses en main pour réguler la société. la jeunesse était abreuvée de chansons égyptiennes, européennes, américaines... La question qui se posait alors était de savoir les raisons pour lesquelles l'identité marocaine, avec sa civilisation et sa culture, était absente des ondes.

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Jil Jilala

À l'origine cette formation se cantonne dans un répertoire musical inspiré de musique à rythmique gnawa ou de musique folk en évoluant  dans le Maroc de la post-indépendance, celui des si mouvementées années 60. "Cela bouillonnait vraiment à tous les coins de rue. La tendance était à la culture et à la politique. On contestait beaucoup, mais on entreprenait également beaucoup". Le Marrakech du début des sixties constituait, juste derrière Casablanca, la deuxième scène authentique de l’underground marocain, une sorte de contre-culture où la contestation politique était servie par deux armes redoutables : la musique et le théâtre.

Comme ses congénères de Nass El Ghiwane, Lemchaheb ou Tagadda, Derham est venu à la musique via le théâtre, d’abord dans les rues, ensuite dans les associations locales, les fameux "clubs de la jeunesse" qui proliféraient à l’époque, la scène, etc.

Le mot d’ordre dominant, à l’époque, était la "correction", ou le retour à la marocanité : "On voulait tout corriger. Nous sortions à peine du colonialisme, nous voulions nous en éloigner au plus vite en retournant au patrimoine marocain, loin des vents de l’Occident, mais aussi des sirènes du Machreq arabe". Derham passe par les deux principales associations qui fédéraient la jeunesse de Marrakech : la chabiba Al Hamra et le club Comédia. C’est là qu’il côtoie déjà deux futurs membres de Jil Jilala, Moulay Abdelaziz Tahiri et Moulay Tahar Asbahani, ainsi que Mohamed Chahramane, l’un des auteurs les plus inspirés des années 70, spécialement réputé pour la réadaptation des textes anciens.

Ce mouvement, qui a réellement pris de l’ampleur à partir de 1962, a atteint son apogée trois années plus tard avec, entre autres, l’adaptation du fameux "Al-Harraz" par le dramaturge Abdeslam Chraïbi, sorte de réplique marrakchie de Tayyeb Saddiki à Casablanca.

Mohamed Derham se lie rapidement au comédien Mohamed Afifi, un grand monsieur du théâtre populaire (vu au cinéma, entre autres, dans "à la recherche du mari de ma femme" ou "Mille mois"), quitte son Marrakech natal pour Fès et El Jadida, avant de déposer ses valises, définitivement, à Casablanca.

En 1971, Larbi Batma, Mohamed Boujemia et d’autres jeunes gaillards du Hay Mohammadi se sont affranchis de Tayyeb Saddidki pour fonder Nass El Ghiwane, avec le succès que l’on sait. Derham leur emboîte le pas avec Moulay Tahar Asbahani, Mahmoud Saïdi (décédé il y a deux semaines) et quelques autres. En 1972, Jil Jilala était né. "Le groupe, se rappelle Derham, doit son existence à Hamid Zoughi (ndlr : acteur chez Jilali Ferhati et, aujourd’hui, réalisateur de cinéma). C’est lui qui nous a réunis et convaincus de nous lancer en travaillant un nouveau style, inspiré de la musique soufie et des chants des zaouiyas marocaines". Le nom de Jil Jilala (la génération des Jilala) est d’ailleurs dédié à l’une des nombreuses confréries du royaume.

Pour ses débuts, le groupe récupère l’un des membres fondateurs de Nass El Ghiwane, Moulay Abdelaziz Tahiri, venu pour explorer à fond les possibilités par le Zajal et le malhoun. Jilala s’adjoint aussi les services d’une chanteuse, Sakina, et va à Essaouira chercher un jeune mâalem gnaoui, menuisier le jour et prodigieux musicien – chanteur la nuit : Abderrahmane Paca. Les premières chansons du groupe, sans doute les meilleures de tout leur répertoire (les "Lajouad", "Lighara", "leklam lemrassaâ") sont portées, d’ailleurs, par le jeu de ce même Paca, qui basculera quelques années plus tard chez les frères-ennemis de Nass El Ghiwane.

Comme ces derniers, les Jil Jilala obtiennent un succès immédiat, plus palpable dans le sud du pays, mais aussi dans tout le Maghreb, et principalement en Tunisie. à partir de 1974, le groupe essaie d’élargir son champ et recrute, coup sur coup, deux excellents musiciens : Abdelkrim Kasbiji, qui deviendra la coqueluche du groupe sur scène, et Hassan Miftah. Plus tard, les Jilala iront chercher un autre jeune mâalem, pour pallier le vide laissé par Paca : Mustapha Baqbou, aujourd’hui l’une des références de la scène gnaouie à Essaouira. "Nous n’étions pas exactement une bande d’amis, prévient toutefois Derham, juste des musiciens complémentaires qui tournaient bien ensemble en étant, tantôt, plus royalistes que le roi, tantôt plus communistes que les communistes".

Le royalisme des Jilala trouve son illustration quand, au lendemain du discours de la marche verte de Hassan II, le groupe compose à la va-vite l’un de ses standards : le très patriotique "Laâyoune Aïniya (Laâyoune, mes yeux)".

Le communisme du groupe s’exprime, dixit Derham, via "Sa propension à tout partager équitablement (royalties, recettes des tournées) entre tous les membres du groupe, quel que soit l’apport de chacun". Royalisme et communisme vont se diluer au fil des années.

Entre 1976 et 1977, Sakina quitte le groupe. Ce qui n’empêche pas Jil Jilala d’aligner de nouveaux chefs-d’œuvre, comme la reprise fantastique de "Chamâa", vieille chanson du répertoire du malhoun, transcendée par les jeunes gens de Marrakech. Ou "Arrâad", autre classique du malhoun revisité avec bonheur. Sans oublier "Loutfiya", éternel chant soufi dans lequel Derham est au sommet de son art.

Dans la foulée, le groupe enregistre ce qui restera, probablement, comme son plus grand succès : "Ezzine ousoulouk". La chanson, magnifique de bout en bout, comporte un passage ("sarrah masjounek", littéralement libère ton prisonnier) devenu aussi fameux que le "Haydouss" de Lemchaheb. Explication de Derham : "Ce texte n’est pas à nous, il appartient au patrimoine marocain. Il signifie, au premier degré, libère-toi de ce qui te pèse sur le cœur. Mais la façon dont le couplet a été chantée, plutôt crié, hurlé, lui a donné une multitude de significations qui appartiennent, d’abord, à ses auditeurs". Pour la petite histoire, "Sarrah Masjounek" est devenu, au grè du hasard, "libère les prisonniers d’opinion", "vide ton verre (de vin)", "exprime ton désir à ta dulcinée", etc.

Dans les années 80, le groupe entame un nouveau virage musical, lorsqu'il ajoute une section cuivre aux instruments traditionnels. Les musiciens vont ensuite s'intéresser à l'arrivée de deux mouvements qui bousculent le paysage musical africain : le Reggae et le Raï, mais la belle histoire de Jil Jilala s’essouffle tout au long des pénibles années 80, marquées par l’arrivée massive des synthés, du raï et par l’ère du vidéo-clip.

Le groupe, à l’image des Ghiwane et Lemchaheb, se cherche et se perd, entre le besoin de se renouveler et celui de coller à une époque qui n’est plus vraiment la sienne. Jil Jilala, sous l’impulsion de Derham, introduit une section de cuivres. Mais le clivage, au sein du groupe, est déjà consommé ; Derham fait bande à part avec Tahiri, tandis que le tandem Asbahani – Kasbiji fait des virées solitaires en malhoun (dont, notamment, un excellent "Dijour" avec le regretté Haj Houcine Toulali). "C’était le dur retour à la réalité des choses", se souvient avec amertume Mohamed Derham. "Nous étions trop romantiques au départ, mais dans les années 80, nous sommes devenus adultes, des gens mariés, avec des responsabilités, des ambitions personnelles, etc. Même l’inspiration a commencé à se dissiper. Nous n’avancions pratiquement plus. Les décalages devenaient énormes entre les uns et les autres, et chacun voulait pousser dans sa direction. Difficile, dans ces conditions, de continuer d’exister, réellement, en tant que groupe".

En 1995, Derham quitte définitivement Jil Jilala, une décision douloureuse qu’il avoue avoir sans cesse différée… depuis 1983.

Les membres actuels sont :

  • Jaafar (né à Tanger le 07/03/1979)
  • Moulay Tahar (né à Marrakech, le 01/01/1948)
  • Abdelkrim né à Marrakech, le 01/04/1955)
  • Mohamed Saïd, le 27/10/1979)

Voir aussi

 

Jil Jilala is a Moroccan musical group which rose to prominence in the 1970s among the movement created by Nass El Ghiwane and Lem Chaheb. Jil Jilala was founded in Marrakech in 1972 by performing arts students Mohamed Derhem, Moulay Tahar Asbahani, Sakina Safadi, Mahmoud Essaadi, Hamid Zoughi and Moulay Abdelaziz Tahiri (who had just left Nass el Ghiwane). In 1974, they released their first record Lyam Tnadi on the Atlassiphone label. It was only a matter of time before Leklam Lemrassaa, Baba Maktoubi, Ha L'ar a Bouya, Jilala, and Chamaa became popular classics.

In 1976 they wrote Laayoune Ayniya about the Green March. The song becomes almost a national anthem that is chanted when Moroccans from all over the country marched as one towards the Moroccan Sahara, then occupied by Spain.

Contrary to Nass El Ghiwane, who were primarily influenced by the Gnawa music, Jil Jilala took their inspiration from other form of traditional Moroccan music like the Malhun, sung in a classical and old form of Moroccan Arabic, or the spiritual music of Jilala, a traditional sufi brotherhood. The goal of these groups was the rejuvenation of traditional Moroccan music.

The Eighties saw the coming of the wonder gnaoui Mustafa Bakbou from the formation Tiq Maya. Bakbou, sometimes written as "Baqbou" is considered to be the number one Gnawa musician of Africa!

Although Jil Jilala have had a lesser influence on the Moroccan music as did Nass el Ghiwane, they have brought much novelty to it. For years it seems that the line-up changed with the seasons. We see the leave and return of Sakina Safadi and also Mustafa Bakbou set out to return again. Even Tahiri will leave the group to return 10 years later. Just a few months before Mohamed Derham, heart of the group, left.

Derham, today, works in a communication agency. Mustafa Bakbou now has his own group GnAwA, including wife and children, continuing the very old tradition to keep the fire burning from father to sons and daughters. Since 2006 Jil Jilala are recording and performing together with Uve Muellrich and Marlon Klein of Germany's Dissidenten.

Rédigé par Musique arabes

Publié dans #Musiques marocaines

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S
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je me permet de vous faire part d'une erreur dans votre texte. Vous faites références à maître spirituel Abdelkader mais vous le nomez Jilali. Or Il s'appelait Abdelkader JilaNi. Les Jilala et la<br /> tariqa Jilania n'ont rien à voir avec les uns avec les autres. Effectivement, Abdelkader Jilani est à la base d'une des tariqa les plus répendues au monde qui est la Qadiriya. Et elle est<br /> également répendue au Maroc par la Qadiriya-Boutchichia. Mais en aucun cas les Jilala n'ont un lien avec tout cela. Par contre, je me ferais un plaisir de me renseigner sur les Jilala et de<br /> partager mes inofrmations avec vous.<br />
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L
<br /> <br /> Bonjour Sarah, merci pour avoir relever cette anomalie et d'y avoir rectifier en commentaire cette confusion ! Pour que votre message a un sens, je laisse l'erreur originelle avant de refaire un<br /> nouvel article sur la confrérie ! Toute rectification est le bienvenu.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Plus connu aujourd’hui comme concepteur-rédacteur en communication ou comme membre de la famille Oufkir, Mohamed Derham est d’abord un grand artiste, qui a participé à la formidable aventure de Jil<br /> Jilala, groupe mythique de nos belles années 70.<br /> <br /> "Je suis le produit d’une époque". Mohamed Derham a vu le jour à Marrakech en 1949.<br /> <br /> Il a grandi dans le Maroc de la post-indépendance, celui des si mouvementées années 60. "Cela bouillonnait vraiment à tous les coins de rue. La tendance était à la culture et à la politique.<br /> <br /> On contestait beaucoup, mais on entreprenait également beaucoup". Le Marrakech du début<br /> <br /> des sixties constituait, juste derrière Casablanca, la deuxième scène authentique de l’underground marocain, une sorte de contre-culture où la contestation politique était servie par deux armes<br /> redoutables : la musique et le théâtre. Comme ses congénères de Nass El Ghiwane, Lemchaheb ou Tagadda, Derham est venu à la musique via le théâtre, d’abord dans les rues, ensuite dans les<br /> associations locales, les fameux "clubs de la jeunesse" qui proliféraient à l’époque, la scène, etc. Le mot d’ordre dominant, à l’époque, était la "correction", ou le retour à la marocanité : "On<br /> voulait tout corriger. Nous sortions à peine du colonialisme, nous voulions nous en éloigner au plus vite en retournant au patrimoine marocain, loin des vents de l’Occident, mais aussi des sirènes<br /> du Machreq arabe". Derham passe par les deux principales associations qui fédéraient la jeunesse de Marrakech : la chabiba Al Hamra et le club Comédia. C’est là qu’il côtoie déjà deux futurs<br /> membres de Jil Jilala, Moulay Abdelaziz Tahiri et Moulay Tahar Asbahani, ainsi que Mohamed Chahramane, l’un des auteurs les plus inspirés des années 70, spécialement réputé pour la réadaptation des<br /> textes anciens.<br /> Ce mouvement, qui a réellement pris de l’ampleur à partir de 1962, a atteint son apogée trois années plus tard avec, entre autres, l’adaptation du fameux "Al-Harraz" par le dramaturge Abdeslam<br /> Chraïbi, sorte de réplique marrakchie de Tayyeb Saddiki à Casablanca. Mohamed Derham se lie rapidement au comédien Mohamed Afifi, un grand monsieur du théâtre populaire (vu au cinéma, entre autres,<br /> dans "à la recherche du mari de ma femme" ou "Mille mois"), quitte son Marrakech natal pour Fès et El Jadida, avant de déposer ses valises, définitivement, à Casablanca. En 1971, Larbi Batma,<br /> Mohamed Boujemia et d’autres jeunes gaillards du Hay Mohammadi se sont affranchis de Tayyeb Saddidki pour fonder Nass El Ghiwane, avec le succès que l’on sait. Derham leur emboîte le pas avec<br /> Moulay Tahar Asbahani, Mahmoud Saïdi (décédé il y a deux semaines) et quelques autres. En 1972, Jil Jilala était né. "Le groupe, se rappelle Derham, doit son existence à Hamid Zoughi (ndlr : acteur<br /> chez Jilali Ferhati et, aujourd’hui, réalisateur de cinéma). C’est lui qui nous a réunis et convaincus de nous lancer en travaillant un nouveau style, inspiré de la musique soufie et des chants des<br /> zaouiyas marocaines". Le nom de Jil Jilala (la génération des Jilala) est d’ailleurs dédié à l’une des nombreuses confréries du royaume. Pour ses débuts, le groupe récupère l’un des membres<br /> fondateurs de Nass El Ghiwane, Moulay Abdelaziz Tahiri, venu pour explorer à fond les possibilités par le Zajal et le malhoun. Jilala s’adjoint aussi les services d’une chanteuse, Sakina, et va à<br /> Essaouira chercher un jeune mâalem gnaoui, menuisier le jour et prodigieux musicien – chanteur la nuit : Abderrahmane Paca. Les premières chansons du groupe, sans doute les meilleures de tout leur<br /> répertoire (les "Lajouad", "Lighara", "leklam lemrassaâ") sont portées, d’ailleurs, par le jeu de ce même Paca, qui basculera quelques années plus tard chez les frères-ennemis de Nass El Ghiwane.<br /> Comme ces derniers, les Jil Jilala obtiennent un succès immédiat, plus palpable dans le sud du pays, mais aussi dans tout le Maghreb, et principalement en Tunisie. à partir de 1974, le groupe<br /> essaie d’élargir son champ et recrute, coup sur coup, deux excellents musiciens : Abdelkrim Kasbiji, qui deviendra la coqueluche du groupe sur scène, et Hassan Miftah. Plus tard, les Jilala iront<br /> chercher un autre jeune mâalem, pour pallier le vide laissé par Paca : Mustapha Baqbou, aujourd’hui l’une des références de la scène gnaouie à Essaouira. "Nous n’étions pas exactement une bande<br /> d’amis, prévient toutefois Derham, juste des musiciens complémentaires qui tournaient bien ensemble en étant, tantôt, plus royalistes que le roi, tantôt plus communistes que les communistes". Le<br /> royalisme des Jilala trouve son illustration quand, au lendemain du discours de la marche verte de Hassan II, le groupe compose à la va-vite l’un de ses standards : le très patriotique "Laâyoune<br /> Aïniya (Laâyoune, mes yeux)". Le communisme du groupe s’exprime, dixit Derham, via "Sa propension à tout partager équitablement (royalties, recettes des tournées) entre tous les membres du groupe,<br /> quel que soit l’apport de chacun". Royalisme et communisme vont se diluer au fil des années. Entre 1976 et 1977, Sakina quitte le groupe. Ce qui n’empêche pas Jil Jilala d’aligner de nouveaux<br /> chefs-d’œuvre, comme la reprise fantastique de "Chamâa", vieille chanson du répertoire du malhoun, transcendée par les jeunes gens de Marrakech. Ou "Arrâad", autre classique du malhoun revisité<br /> avec bonheur. Sans oublier "Loutfiya", éternel chant soufi dans lequel Derham est au sommet de son art. Dans la foulée, le groupe enregistre ce qui restera, probablement, comme son plus grand<br /> succès : "Ezzine ousoulouk". La chanson, magnifique de bout en bout, comporte un passage ("sarrah masjounek", littéralement libère ton prisonnier) devenu aussi fameux que le "Haydouss" de<br /> Lemchaheb. Explication de Derham : "Ce texte n’est pas à nous, il appartient au patrimoine marocain. Il signifie, au premier degré, libère-toi de ce qui te pèse sur le cœur. Mais la façon dont le<br /> couplet a été chantée, plutôt crié, hurlé, lui a donné une multitude de significations qui appartiennent, d’abord, à ses auditeurs". Pour la petite histoire, "Sarrah Masjounek" est devenu, au grè<br /> du hasard, "libère les prisonniers d’opinion", "vide ton verre (de vin)", "exprime ton désir à ta dulcinée", etc.<br /> La belle histoire de Jil Jilala s’essouffle tout au long des pénibles années 80, marquées par l’arrivée massive des synthés, du raï et par l’ère du vidéo-clip. Le groupe, à l’image des Ghiwane et<br /> Lemchaheb, se cherche et se perd, entre le besoin de se renouveler et celui de coller à une époque qui n’est plus vraiment la sienne. Jil Jilala, sous l’impulsion de Derham, introduit une section<br /> de cuivres. Mais le clivage, au sein du groupe, est déjà consommé ; Derham fait bande à part avec Tahiri, tandis que le tandem Asbahani – Kasbiji fait des virées solitaires en malhoun (dont,<br /> notamment, un excellent "Dijour" avec le regretté Haj Houcine Toulali). "C’était le dur retour à la réalité des choses, se souvient avec amertume Mohamed Derham. Nous étions trop romantiques au<br /> départ, mais dans les années 80, nous sommes devenus adultes, des gens mariés, avec des responsabilités, des ambitions personnelles, etc. Même l’inspiration a commencé à se dissiper. Nous<br /> n’avancions pratiquement plus. Les décalages devenaient énormes entre les uns et les autres, et chacun voulait pousser dans sa direction. Difficile, dans ces conditions, de continuer d’exister,<br /> réellement, en tant que groupe".<br /> <br /> En 1995, Derham quitte définitivement Jil Jilala, une décision douloureuse qu’il avoue avoir sans cesse différée… depuis 1983.<br /> <br /> Trois années plus tard, l’artiste publie, à presque 50 ans, son premier et unique album solo. Une expérience qu’il n’a toujours pas renouvelée : "On vit, aujourd’hui, dans un monde de piratage tous<br /> azimuts. Publier un disque, même s’il marche bien, revient à perdre de l’argent puisque l’essentiel des recettes va à des pirates et autres revendeurs clandestins".<br /> <br /> Derham continue de jouer et de composer dans son petit coin (musiques de téléfilms, de génériques d’émission radio et télé, etc), se produisant même de temps en temps sur scène.<br /> <br /> Il gagne sa vie, d’abord, en tant que concepteur-rédacteur dans une agence de communication, loin, très loin du troubadour inspiré qui, dans les années 70, crachait littéralement ses poumons à<br /> chaque chanson de Jil Jilala. "Qui dit artiste, dit être atypique.<br /> <br /> Et dans un pays qui ne reconnaît pas vraiment ses artistes, on est tous condamnés à végéter ou à s’en sortir grâce à des bouts de ficelles". Il y a deux semaines, Derham a éprouvé un pincement de<br /> cœur en apprenant le décès, tragique, de l’un de ses anciens compagnons du groupe, le discret Mahmoud Saïdi découvert seul dans son appartement à Casablanca, plusieurs jours après sa mort.<br /> <br /> Un autre des ses camarades de "promotion", Abderrahmane Paca, vit des jours difficiles à Essaouira. Derham se déplace, d’ailleurs, ce week-end à Essaouira pour rendre un hommage à Paca, en<br /> compagnie de deux survivants des mythiques Nass El Ghiwame et Lemchaheb, Omar Sayed et Sousdi...<br /> <br /> Enfin, pour la petite histoire, Mohamed Derham rappelle qu’il n’a rien à voir avec la famille Derham, l’une des plus puissantes tribus des provinces du Sud.<br /> Et ne tient pas spécialement à évoquer ses liens de sang avec la famille Oufkir. "J’ai épousé la nièce du général, en 1974, alors qu’il n’était déjà plus de ce monde, voilà tout"...<br /> <br /> http://www.telquel-online.com/183/sujet6.shtml<br /> <br /> <br />
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