Las Espigadoras (la Rosa Del Azafrán), una zarzuela de Jacinto Guerrero

Publié le 1 Juillet 2013

La musique du générique du film Volver de Pedro Almodovar, qui se déroule pendant la scène où les femmes nettoient les tombes, est agrémentée de la chanson Las Espigadoras (la Rosa Del Azafrán) qui est une magnique zarzuela qui a été jouée la première fois en 1930. Cette opérette espagnole a été composée par Jacinto Guerrero, écrite par Federico Romero et Guillermo Fernández Shaw et interprétée dans ce film par la chanteuse lyrique soprano espagnole Conchita Panadés.

 

 

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L'action de cette opérette se situe dans La Mancha, ce qui nous ramène à un des thèmes principaux du film, à savoir les traditions de cette région espagnole. Cette chanson apparait dans l'acte I, scène 3 de l'opérette, alors que les femmes travaillent à extraire les stigmates de la fleur de safran (azafrán), un travail pénible et intense. Cela laisse donc déjà deviner un des angles de vue du film, à savoir la force et le courage de femmes qui travaillent seules (dans le film, Raimunda multiplie les emplois et travaille sans relâche pour faire vivre sa famille). De plus, il est dit dans l'opérette que l'amour est fragile comme cette fleur de safran: leur floraison se fait à l'aube, puis elle se fane rapidement durant la journée. Cela renvoie dans le film aux thèmes de la mort et de l'amour impossible avec les hommes.

Conchita Panadés : (née en 1908, à Manille et morte à Barcelone en 1981). 25 ans après son décès, sa belle voix accrochante au timbre voilé est remise à l'honneur dans l'enregistrement sonore du générique de ce film sur une bande originale de Alberto Iglesias.

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La zarzuela1,2 (prononcé [θaɾˈθwela]) est un genre théâtral lyrique espagnol né au xviie siècle qui alterne scènes chantées et passages parlés avec les thèmes locaux et le folklore populaire espagnol. Il a été recensé quelque 20 000 zarzuelas, depuis la naissance du genre jusqu’au xxe siècle3.

Historique

 

Pedro Calderón de la Barca (1600-1681).

L’appellation « zarzuela » provient du nom d’un lieu de villégiature royal au nord de Madrid, le Palacio de la Zarzuela (litt. « palais de la ronceraie »)4, qui est actuellement la résidence du roi d'Espagne, où furent données au xviie siècle les premières soirées théâtrales et musicales dites Fiesta de la zarzuela ; un intitulé rapidement abrégé et simplifié en zarzuela, sous l’influence de Pedro Calderón de la Barca, grand librettiste alors de ce genre lyrique5.

La zarzuela avait cependant été en Espagne précédée vingt ans plus tôt de pièces entièrement chantées qu'on n'appelait pas encore « opéras », telles La gloria de Niquea (1622) et La selva sin amor (1627), sur un livret de Félix Lope de Vega, à la façon de ce qu’il en était depuis peu en Italie6. L'opéra espagnol va ainsi désormais poursuivre son chemin, à côté de son dérivé : la zarzuela7.

La zarzuela aux xviie et xviiie siècles

 

Ramón de la Cruz (1731-1794).

La première œuvre de zarzuela répertoriée est El jardín de Falerina, datée de 1648. À l'origine spectacle de cour, la zarzuela va ensuite essaimer dans les théâtres ouverts à tous, essentiellement à Madrid avant de se répandre dans toute l’Espagne, puis, dès la fin du xviie siècle, dans les Amériques et jusqu’aux Philippines, à travers des ouvrages et des compositeurs aux styles très différents. Parmi les compositeurs majeurs et les œuvres importantes des XVIIe et XVIIIe siècles, il convient de mentionner : Juan Hidalgo, auteur de Celos aun del aire matan (1660) et Los celos hacen estrellas (1672) ; Sebastián Durón, auteur de Salir el amor del mundo (1696) et El imposible mayor en amor le vence Amor (vers 1700) ; Antonio Literes, auteur de Acis y Galatea (1708) et Júpiter y Semele (1718) ; José de Nebra, auteur de Viento es la dicha de amor (1743) et Ifigenia en Tracia (1747) ; Antonio Rodríguez de Hita, auteur de Briseida (1768) et Las labradoras de Murcia (1769) ; Luigi Boccherini, auteur de Clementina8 (1786)...

Jusqu’à la moitié du xviiie siècle, les thèmes des livrets sont exclusivement mythologiques (cas de Júpiter y Semele et Ifigenia en Tracia, par exemple), pour ensuite s’infléchir vers des sujets les plus divers et souvent avec des personnages de tous les jours (cas de Las labradoras de Murcia et Clementina). Cette évolution doit beaucoup au librettiste Ramón de la Cruz, principal instigateur de ce renouvellement du genre. Le style musical quant à lui s’apparente à celui de l’art lyrique baroque dans le reste de l’Europe, avec toutefois des traits propres (que l’on trouverait dans la musique religieuse espagnole de l’époque) ; puis, à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, prenant un caractère davantage symphonique dans l’orchestration, de plus en plus mêlé de formes typiquement espagnoles (passacailles, fandangos, sarabandes, chaconnes)9,10.

 

Relief en bronze représentant une scène de Pan y toros (1864). Détail d'un monument à Madrid (L. Coullaut, 1913).

La zarzuela aux xixe et xxe siècles

Au début du xixe siècle, le genre connaît une renaissance, prenant parfois un ton léger que l’on pourrait rapprocher de l’opérette (apparue en France vers 1840), surtout vers la fin du xixe siècle et début du xxe siècle. Mais la très grande majorité des zarzuelas possèdent une tonalité dramatique, rarement portée à l’amusement et conduisant souvent à des fins tragiques (la meilleure correspondance esthétique serait plutôt l’opéra-comique français ou le singspiel allemand, en raison notamment de la présence de dialogues parlés).

 

Relief en bronze représentant une scène de La verbena de la Paloma (1894). Détail d'un monument à Madrid (L. Coullaut, 1913).

Citons, parmi les compositeurs remarquables et les œuvres célèbres des xixe et xxe siècles : Emilio Arrieta, auteur de Marina (1855) ; Francisco Asenjo Barbieri, auteur de Los diamantes de la corona (1854), Pan y toros (1864) et El barberillo de Lavapiés (1874) ; Federico Chueca, auteur de La Gran Vía (1886) dont Friedrich Nietzsche se fera l'écho élogieux (lettre à Peter Gast du 11) ; Ruperto Chapí, auteur de La bruja (1887), La revoltosa (1897), Curro Vargas (1898) et El barquillero (1900) ; Tomás Bretón, auteur de La verbena de la Paloma (1894), qualifiée de chef-d’œuvre par Camille Saint-Saëns (lettre du  de Saint-Saëns à Tomás Bretón12) et l'une des plus célèbres zarzuelas ; Gerónimo Giménez, auteur de La tempranica (1900) ; José María Usandizaga, auteur de Las golondrinas (1914) ; Amadeo Vives, auteur de la fameuse zarzuela Doña Francisquita (1923) ; Federico Moreno Torroba, auteur de Luisa Fernanda (1932), autre zarzuela fameuse ; Pablo Sorozábal, auteur de La tabernera del puerto (1935) ; ou Ernesto Lecuona, compositeur cubain auteur de la célèbre María la O13 (1930)...

 

Carlos Arniches (1866-1943)

Pour ces deux siècles considérés, la zarzuela peut se partager en deux familles principales : la zarzuela « grande » et la zarzuela « chica » (petite). La première, généralement en trois actes, est destinée à occuper une soirée entière de représentation, sur des sujets historiques (cas de Pan y toros et de La bruja) ou dramatiques (cas de Curro Vargas et de Las golondrinas). Musicalement, elle porte tout d’abord l’influence du bel canto, pour peu à peu s’en libérer par des formes de chant qui lui sont propres, tout en restant parfois sensible aux courants lyriques du reste de l’Europe (Grand Opéra à la française, wagnérisme, vérisme…). La seconde catégorie, généralement en un acte et d’une durée d’environ une heure, revêt un caractère plus spécifique : avec des intrigues et personnages contemporains, issus du petit peuple et des prolétaires, de Madrid en particulier, notamment pour le género chico (« genre petit »), sous-genre de la zarzuela chica ; et des rythmes musicaux très souvent puisés aux sources espagnoles (cas de La Gran Vía et de La verbena de la Paloma). Carlos Arniches figure alors l’un des florissants librettistes de ces sujets gouailleurs mais non nécessairement joyeux. Il en serait de même pour les zarzuelas des Amériques hispaniques, qui régulièrement s’inspirent de thèmes autochtones et du folklore local14,15,16,17. Ce type de pièces lyriques populaires se rencontre également dans des pays tels que les Philippines, avec, notamment, comme interprète au xxe siècle, Atang de la Rama18.

Postérité de la zarzuela

Depuis la fin des années 1970, le goût pour les spectacles lyriques a entraîné un nouvel intérêt pour les Espagnols envers la zarzuela. Les maisons de disques créent des collections dans lesquelles les disques sont accompagnés de fascicules : livret, synopsis, études sur l'œuvre, biographie du compositeur y sont exposés. En Espagne, le programme diffusé par la TVE intitulé Antología de la zarzuela a connu un franc succès. En 2006, la SGAE (équivalant à la SACEM en France) a enregistré une augmentation d'environ 4 % relative aux droits d'auteur.

Les plus grands chanteurs espagnols, à la renommée mondiale, se sont illustrés dans la zarzuela ; dont, ces quarante dernières années : Pilar Lorengar, Victoria de los Ángeles, Teresa Berganza, Montserrat Caballé, María Bayo ; ou Alfredo Kraus, José Carreras, Plácido Domingo...

La réputation de la zarzuela a néanmoins rarement dépassé les frontières du monde hispanophone (Espagne, Amérique hispanique, Philippines…) ; en raison peut-être de la langue espagnole des livrets, et d’autant plus pour leurs dialogues parlés qui peuvent aussi constituer un frein à une expansion internationale ; voire aussi en raison des sujets de ces livrets, souvent se rapportant à des thèmes hispanisants, bien que cela ne soit pas une règle générale tant s'en faut. La zarzuela commence toutefois à essaimer au-delà de ce monde, comme le montreraient ces dernières années des représentations en France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Italie, aux États-Unis, ou d’autres pays de tradition lyrique non hispanophone.

Compositeurs de zarzuelas

Notes et références

  1.  Définitions lexicographiques [archive] et étymologiques [archive] de « zarzuela » (sens I) dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 15 juin 2016].
  2.  Entrée « zarzuela » [archive] [html], sur Dictionnaires de français (en ligne), larousse [consulté le 15 juin 2016].
  3.  Pierre-René Serna, Guide de la Zarzuela : la zarzuela de Z à A, Paris, Bleu Nuit, , 336 p., 16,8 × 24 cm (ISBN 2-913575-89-7 et978-2-913575-89-9, OCLC 816686632, notice BnF no FRBNF42768392,présentation en ligne [archive]), p. 9 [lire en ligne [archive] (page consultée le 15 juin 2016)]. À titre de comparaison, l’opéra, tous pays et époques confondus, accumule environ 40 000 titres.
  4.  Nommé ainsi en raison des ronces (zarzas, en espagnol) qui autrefois parsemaient les parages, ce palais existe toujours, bien que très modifié.
  5.  (es) « Origen de la zarzuela » [archive], sur Revive MADRID (consulté le)
  6.  Pierre-René Serna, Guide de la Zarzuela : La zarzuela de Z à A, op. cit., p. 16-17.
  7.  (es) « Origen de la zarzuela » [archive], sur Revive MADRID (consulté le)
  8.  Il est courant de citer cette œuvre sous le titre La Clementina, or elle trouve son origine dans les traductions en italien (postérieures à Boccherini). Le titre d'origine de l'œuvre, tel qu'il fut créé et attribué en Espagne, est bel et bien Clementina, sans l'article défini. Voir pour cela les notices officielles de la Bibliothèque nationale d'Espagne sur l'édition critique du livret (1992) [archive] ou le double disque de 2009 de Música Antigua Aranjuez Ediciones [archive].
  9.  Pierre-René Serna, « Une brève histoire de la zarzuela : Floraison baroque » [archive], Concertclassic.com, 31 janvier 2014.
  10.  Manuel García Franco et Ramón Regidor Arribas, La zarzuela, Acento Editorial, Madrid, 1997 (ISBN 84-483-0111-0), p. 9-39.
  11.  Friedrich Nietzsche, Lettres à Peter Gast, traduction de l'allemand vers le français par Louise Servicen. Introduction et notes par André Schaeffner. Éditions du Rocher, 1957 (réédition de 1981 par Christian Bourgois éditeur, où la lettre du 16 décembre 1888 se trouve sur les pages 564 et 565).
  12.  Pierre-René Serna, Guide de la Zarzuela : La zarzuela de Z à A, op. cit., p. 111.
  13.  Œuvre aussi connue sous le titre María de la O, du nom d'une vierge. Les deux titres, successivement, furent attribués par Lecuona lui-même.
  14.  Pierre-René Serna, « Une brève histoire de la zarzuela : Renaissance éclatante au xixe siècle » [archive], Concertclassic.com, 30 mars 2014.
  15.  Pierre-René Serna, « Une brève histoire de la zarzuela : Apogée et fin : lexxe siècle » [archive], Concertclassic.com, 19 mai 2014.
  16.  Manuel García Franco et Ramón Regidor Arribas, La zarzuela, op. cit., p. 42-61 et p. 70-84.
  17.  Emilio Casares Rodicio, Diccionario de la Zarzuela, España e Hispanoamérica (2 vol.), ICCMU, Madrid, 2002-2003, 962 et 1084 pages(ISBN 84-89457-22-0 et 84-89457-23-9), vol. 2 : p. 1018-1035.
  18.  (en) « Honorata "Atang" de la Rama », sur ncca.gov.ph, 
  19.  Le nom de famille de ce compositeur s'écrit Moreno-Buendía, avec trait d'union entre «Moreno» et «Buendía». Voir vol. 2, pages 356-357 in Emilio Casares Rodicio, Diccionario de la Zarzuela, España e Hispanoamérica (2 vol.), ICCMU, Madrid, 2002-2003, 962 et 1084 pages (ISBN 84-89457-22-0 et84-89457-23-9). Et aussi, par exemple : efe, «Manuel Moreno-Buendía: un compositor para "todos los públicos"» [archive], ABC, 24/11/2012.

Rédigé par Last Night in Orient

Publié dans #Jacinto Guerrero, #Zarzuela, #Pedro Almodovar, #musiques espagnoles, #Federico Chueca

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C
Bonsoir, <br /> Une belle voix en effet et un article comme on aime.<br /> Bonne soirée<br /> @mitié
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L
Bonsoir Covix, merci beaucoup, je te souhaite un bon dimanche ! Amitié
C
J'aime beaucoup ! Et les peintures aussi ! Merci Mario !
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L
Cette zarzuela a quelque chose de magique, malgré que ce soit devenu un genre musical dit démodé ! Bonne soirée Catherine