qasida le cheval - El aoud
Publié le 28 Octobre 2010
LE CHEVAL - EL AOUD, poésie de Si Thami MDAGHRI, compagnon du prince-poète Sidi Mohamed Ben Abderrahmane (1859-1873) mort vers 1856
Dans la poésie de malhoun marocaine, le cheval a souvent été un thème présent. Il était le messager, le compagnon qui peut réunir les amants :
Interrogez mon cheval sur mon mal !
Toutes mes longues nuits je grogne et je râle
Pendant que lui le pauvre, le mors il entaille.
Mon mal est si profond je vie le martyre !
J’apprends à la colombe comment gémir !
Et sur mes deux joues j’ai planté une rose,
De mes yeux coulent les torrents qui l’arrosent !
La passion l’amour pourfendent mon cœur,
N’as-tu vu le sang qui se mêle à mes pleurs !
Un cavalier en rage et fougueux me poursuit,
Avec son sabre tranchant et qui reluit,
Il me dit : «Lève-toi ! Viens subir ton sort,
Prisonniers des belles sont ton âme et ton corps ! »
Aie pitié de moi lui dis-je, voici longtemps
Que ta sentence s’exécute à tout instant !
Faut-il que seul j’attelle ma monture,
Me dis-je, et que je me mette en posture !
Il y’a longtemps o mon cher cheval,
Que je te possède et que je te régale !
-« Oui mon maître ! Et je serai toujours prêt
Pour toi pour m’illustrer et pour me cabrer,
Méritant ta douceur et ta gratitude,
Et que survienne l’heure du grand départ,
Les filles à dos de chameaux se meuvent et s’effarent,
Conversant allégrement et à tue-tête,
Les joues nacrées d’or d’une beauté parfaite..
Les belles arabes leur beauté dévoilent,
Repentis et dévots s’emballent et s’en régalent !
Entends le tintement des chaînes et des parures,
Et le frémissement des manches qui fulgurent !
Les chevaux sautent à cloche-pied et se cambrent,
Leurs cavaliers réduisent les fauves en cendres !
Renseigne-toi sur mon père et mon aïeul,
Sur mes oncles et les pur-sang avis recueille !»
-« Je te crois bien volontiers mon cher cheval,
De tes ancêtres exhibe le cérémonial,
A l’instar des chevaux aux luisants regards,
Aux oreilles aux joues harmonieuses et sans écart …
La mâchoire bien garnie et généreuse
Les lèvres fines s’abreuvent silencieuses
L’encolure élancée comme un col de cygne
Et le flanc si ample les épaules dignes :
Et flotte le blanc toupet sur les arcades
Tel touffes de crin de zébu en parade
Le garrot longueur de mon bras le dos court
Frémissant est le ventre au si gracieux contour
Et la croupe confortable comme mon lit
Les fesses si fines que gazelle en pâlit
Les membres arc-boutés et de crins dépourvus
Les ars saillantes et le poitrail profus
Que je contemple mon cheval il me semble
Un lion fier ses sabots vont toujours l’amble
O mon bon cheval o mon fils lui dis-je
Que Dieu nous garde et nous comble de prestige
Sois fier de tes ars o digne monture !
Tu es avec des combattants qui fulgurent,
Mes cousins et frères cavaliers intrépides
Et les héros de combats et de feux avides
Leurs sabres sans cesse scintillent et s’attisent
Sabres dorés dont la pensée est éprise
Ils aiment chevaucher en présence des filles
Formant tout autour un mur de bastille
Ces filles éloquentes et laborieuses
Et qui chantent de manière si heureuse !
Tel la gazelle qui cheval perçoit
Devient écumante et tremblante d’effroi
Tel étendard la stature haute flotte
Le jour du combat au milieu des patriotes
Toison noire et luxuriante aux seins tombante
Le front rutilant et la face fervente
Et les cils s’entremêlent je ne sais où
Foudre les yeux ! Aigle le nez ! Roses les joues !
L’eau de la bouche de bon miel malaxée
Ou coupe de vin aux perles fines enlacées
Le cou renverse de bonté et de tendresse
O détresse ! La poitrine ses seins dresse !
Mais les épaules !On dirait bien des glaives
Adossées elles calment l’amant ou l’achèvent !
Ah ! Les paumes ! Du velours entre mes mains
Et les doigts des sceptres de joyaux peu communs !
Le ventre antre de velours luxurieux
Cuisses qui emplissent de délices les pieux !
Les jambes invincibles aloses, talons tendres !
Apaisent les déprimés s’ils se laissent prendre !
Colle ta joue à la mienne dans ma chambrée !
Passons la nuit enlacés le guet égaré
Mais adoucis donc le feu qui m’embrase !
Du vin de ta bouche je boirai l’extase !
L’eau de ta bouche te contera mon récit
Tes lèvres éteindront le feu qui me supplicie
Compatis mais compatis donc o mon amie
Dois-je demeurer dans ta geôle démis ?
Mon incarcération se poursuit et perdure
Mets fin à mon supplice je t’en conjure !
Mes yeux ne se voient que dans l’eau de ton amphore,
Tu me laisses abandonné à mon triste sort !
Libère-moi cesse de me faire souffrir
Pourquoi me punir ne vois-tu que j’expire !
Que tu me reviennes et je serai satisfait
Comme le sont ces vers qui chantent les fées
Et qui propagent des parfums d’arôme frais
Mon salut aux poètes et honte aux égarés.
Interrogez mon cheval sur mon mal !
Toutes mes longues nuits je grogne et je râle
Pendant que lui le pauvre, le mors il entaille.
Traduction de la qacida: Fouad Guessous, auteur de:- ''le melhoun marocain dans la langue de Molière ( 8 tomes) - ''Anthologie de la poésie du melhoun marocain''