Publié le 12 Mai 2008
Le muwashshah ou mouachah (de l'arabe موشح double ceinture en cuir enrichie de paillettes ou d'incrustations de pierres précieuses) (chants racontant les épopées) est une catégorie métrique arabe connue en Occident sous la dénomination de « poésie strophique ». Ce mot est transcrit également en castillan comme muaxaha, muwasahas, muassaha, etc. Ce genre de composition est également imité par les poètes judéo-espagnol.
Le muwashshah désigne une forme de poème et de chanson à 3 ou 7 strophes qui fut inventée en al-Andalus, en Espagne musulmane, probablement au XIe siècle.
Le schéma strophique est le suivant: aa bbbaa cccaa dddaa eeeaa fffAA[1]
Créée par Mucaddam Ben Mufa el Cabri, un non-voyant de la province de Cordoue (en Espagne musulmane) qui vécut au temps de l'émir Abdallah et d'Abderraman II, à la fin du IXe et au début du Xe siècle. Cette forme poétique constitue un pan original de la production littéraire de l'Occident musulman médiéval. Dans les cours provençales, premier reflet de l'esprit des cours galantes et raffinées à la manière andalouse qui se manifeste dans l'Europe chrétienne, les troubadours, voyageant d'un pays à l'autre, connaissaient très bien la musique arabo-andalouse ainsi que l'utilisation des instruments. La forme du Zéjal apparaît déjà chez certains des plus anciens comme Guillaume de Poitiers. Au nord de la France nous trouvons une multitude de ballades et de rondeaux écrits en forme de zéjel, certains datant du XIIe et la majorité du XIIIe siècle. Le célèbre rondeau La Belle Aëliz, dans le "Jeu de Robin et de Marion" d'Adam de la Halle, est un zéjel de la forme la plus pure.
C'est sous le règne des Mulûk al-Tawâ'if que s'est produit le véritable développement du muwashshah. Lorsque le pouvoir central omeyyade de Cordoue affaibli par des querelles partisanes s'effondra, l'Émirat d'al-Andalus fut morcelé en de multiples principautés plus ou moins indépendantes. Celles-ci, par le biais du système du mécénat, permirent l'éclosion de talents dans les cours de Séville, de Badajoz ou de Saragosse. L'art poétique en Espagne obtint alors ses lettres de noblesse, tant dans le domaine de la qasîda, que dans al-shi'r al- muwashshah.
La plupart des poètes qui excellèrent dans cet art nouveau appartenaient aux classes sociales modestes. Leurs surnoms sont, de ce point de vue, très significatifs : Ibn al-Labbâna , « le fils de la crémière », al-Khabbâz, « le boulanger », al-Djazzâr qui préféra retourner à son métier de « boucher » plutôt que de passer sa vie à encenser des aristocrates avares, Ibn Djâkh al-Ummî , « l'illettré » etc...Ce sont donc ces hommes du « petit peuple » qui fixèrent, dès le XIe siècle, les caractéristiques fondamentales du muwashshah.
Les deux dynasties « réformatrices » venues du Maghreb, celle des Almoravides, puis celle des Almohades, ont tenté d'imposer en vain aux Andalous leur rigorisme religieux. Mais elles se heurtèrent au mode de vie et au raffinement culturel des populations andalouses et les poèmes à la gloire de l'amour et de l'ivresse finirent par l'emporter sur les sermons rigoristes des fuqahâ'. Et lorsque le muwashshah aborda des thèmes spirituels, ce fut, lors du développement du mouvement soufi, pour exprimer des élans mystiques et la quête passionnée de l'amour divin.
La popularité et l'authenticité du muwashshah triomphèrent de toutes les réticences des censeurs bornés ou des hommes de lettres timorés qui n'osaient pas imaginer un autre cadre à l'expression poétique que celui, immuable, de l'antique qasîda. Même les classes « supérieures » de la société qui avaient pris de haut une poésie ne respectant pas les règles sacro-saintes de la qasîda traditionnelle, finirent par composer dans le nouveau genre poétique, désormais adopté par la plupart des Andalous. Ce fut notamment, à l'époque nasride, le cas d'un souverain comme Yûsuf III ou d'Ibn al-Khatîb. Cet homme politique hors pair, auquel al-Maqqari consacra son ouvrage Nafh at-tîb fut un éminent lettré qui a marqué de son empreinte l'histoire du muwashshah. C'est à lui que l'on doit le célèbre muwashshah qui commence par « djâda-ka al-ghaythu idhâ al- ghaythu hamâ » qui appartient à la mémoire collective de tous les nostalgiques du paradis perdu andalou. Mais sa contribution la plus importante est due à son anthologie intitulée "Djaysh al-tawshîh" qui comporte plus d'une centaine de muwashshahât dont certaines ne se trouvent dans aucune autre source connue.
Le muwashshah, inventé dans la Péninsule ibérique, a commencé, dès le 12esiècle, à franchir le Détroit pour aller conquérir tant le Maghreb voisin que des contrées plus lointaines au Mashriq. Ceci fut permis par l'inversion du mouvement migratoire qui poussa des lettrés andalous à quitter al-Andalus pour partir à la quête du savoir, de la fortune ou de la divine vérité sur les chemins qui mènent de Ceuta à Marrakech, de Tlemcen à Bidjâya et de Tunis à Damas et à La Mecque. Quand il a quitté al-Andalus, le muwashshah était accompagné d'un genre très proche et plus populaire dans son expression : le zajal. Cette forme de poésie eut un illustre représentant en la personne d'Ibn Quzmân qui fut l'auteur de pièces où s'exprima toute la sensibilité des Andalous de condition modeste : légèreté, joie de vivre et liberté de ton. Les muwashshahât furent d'autant plus facilement répandues qu'elles arrivèrent, dans ces nouvelles contrées, habillées le plus souvent des mélodies envoûtantes appartenant au système des nawbât mis au point par Ziryâb
Guillaume de Machaut (né vers 1300 - mort en 1377), qui était le plus célèbre écrivain et compositeur français de son époquenous a donné maintes preuves de sa connaissance de la musique et des instruments arabes. En Italie, la forme du zéjel apparaît pour la première fois dans l'éloge de Fra Jacopone da Todi, disciple de St François d'Assise. De nombreux frottole et d'autres chants italiens ont par ailleurs la structure du zéjel, qu'ils soient des XIVe, XVe ou XVIe siècles.
La moaxaja in extenso est une composition poétique à rimes et mètres multiples propre à l'Espagne musulmane dont les premières références écrites remontent au 9ème siècle.
Ce type de poème en langue arabe est distincte de la Qasida à une seule rime et autorisant une plus grande subtilité et possibilités de création et de composition musicale. le poème est composé en larges versets monorythmiques. Selon García Gómez, à la fin du 9ème siècle, un poète arabe anonyme empruntait certaines de ces chansons en un poème arabe intitulé moajaxa, qui lui donna une structure strophique particulière.
Ce style connut un âge d'or avec Ibn Tufaïl, Ibn Bajja (Avempace), Ibn Rochd (Averroès), Lissane-Eddine Ibnoul Khatib...
Cette tradition musicale andalouse engendre différents genres de musiques citadines qui puisent leurs sources dans la poésie et la mélodie du terroir. Ces genres plus vifs sont représentés par les N'qlabate, le Hawzi, le Aroubi, le Zendani, le Chaâbi qui en est le dérivé le plus récent.
Fragment d'une muaxaha traduite en espagnol par García Gómez
- Cual tímido ciervo
- mi amada es bella.
- Sus hermosos ojos
- robó a la gacela.
- Duna es luminosa
- con palma de perlas.
Khardja (en espagnol jarcha ['xartʃa], de l'arabe خرجة final) est un terme littéraire qui désigne les vers finaux de la dernière strophe d'un muwashshah, poème arabe ou hébreu à forme fixe qui fut inventé en al-Andalus, en Espagne médiévale musulmane, au XIe siècle. Les environ soixante-dix khardjas retrouvées, composées en ancien espagnol et écrites en caractères hébraïques ou arabes (en aljamiado), sont d'une grande importance pour la philologie romane. Datant du XIe siècle, elles représentent d'une part les plus vieux textes intégraux connus en langues ibéro-romanes, et d'autre part elles constituent les plus anciens témoignages de poésie écrite dans une langue romane, antérieure à celle des troubadours.
En 1952 l'arabiste espagnol, Emilio García Gómez, publia dans Al-Andalus vingt-quatre khardjas romanes découvertes dans des muwashshahs arabes.
Ces vers finaux en ancien espagnol dans les muwashshahs hispano-hébraïques et hispano-arabes sont des fragments de chansons de femme: Frauenlieder, cantigas de amigo, deschansons de toile. Leur motif est la complainte d'une jeune fille qui exprime son amour passionné vers son amant absent:
- " 'Ô toi qui es brun, ô délices des yeux! Qui pourra supporter l'absence, mon ami?' Tout rend le contraste extrême entre le poème et cette pointe finale: le changement de langue, de style, de sujet. Mais c'est le contraste qui met en valeur l'à-propos de la citation."
- - Michel Zink: Leçon inaugurale faite le Vendredi 24 mars 1995 au Collège de France, Chaire de Littératures de la France Médiévale
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Michel Zink: Leçon inaugurale faite le Vendredi 24 mars 1995 au Collège de France, Chaire de Littératures de la France Médiévale, p. 7 - texte complet en format pdf .
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Michel Zink: Littérature française du Moyen Âge, Paris: PUF 'Premier cycle' 1992, 2e édition revue et mise à jour, 2001, (ISBN 2130449948), pp. 114/123.
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Ibn al-Khatîb et l'art du muwashshah (1)
Alhambra, vue du Généralife à Grenade Communication présentée par Saadane BENBABAALIau Colloque International sur Ibn al-Khâtîb (27-28 Octobre 2005), Loja, Espagne 1. L'art du tawshih, une ...
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