Existe-t-il dans l'histoire de l'art un phénomène plus étrange que l'égyptomanie?

Publié le 26 Décembre 2012

Cette civilisation incarne l’harmonie et l’équilibre.

Robert Solé

Si l’Egypte ancienne fascine tant, c’est que le pays des pharaons est un formidable support pour l’imaginaire. Existe-t-il dans l'histoire de l'art un phénomène aussi singulier que cette passion? Des artistes, à toutes les époques, exploitent dans leurs créations ces thèmes tant pour leur propre délectation que pour celle de leur clientèle, y compris dans le domaine de la musique, du théâtre, du cinéma et de la bande dessinée.

Sphinx pyrogène
Sphinx pyrogène
Sphinx pyrogène

Sphinx pyrogène

Mozart l'Égyptien de Hughes de Courson est une oeuvre musicale sortie en 1998 qui fusionne la musique classique et la musique arabe tout en célébrant la rencontre musicale de l'Orient et de l'Occident.

L'égyptomanie est une représentation générale et abstraite qui explique la fascination pour la culture et l'histoire de l'Égypte antique. Bien que cette sorte d'expression de fascination ait pris naissance immédiatement après la période pharaonique (importation de momies dès le Moyen Âge, collection d'objets dans des cabinets de curiosités des xvie et xviie siècles), ce mot se réfère plus particulièrement au regain d'intérêt européen pour l'Égypte antique à partir du récit de voyage Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et des Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires (1791) de Volney, ce dernier ouvrage influençant le ministre des relations extérieures Talleyrand qui incite le général Bonaparte à conduire la campagne d’Égypte de 1798 à 1801. Mais l'égyptomanie a commencé bien avant. On la retrouve dès le XVIe siècle à Fontainebleau, on peut voir une porte égyptienne de cette époque, et au château de la Bastie d'Urfé à Saint-Etienne-le-Molard (Loire), un sphinx égyptien.

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Léon Cogniet - L'Expédition d'Egypte - 1817


De son retour de l'expédition d'Égypte, Vivant Denon rédige son Voyage dans la Basse et la Haute Égypte publié en deux volumes en 1802 et qui a connu quarante rééditions au cours du xixe siècle. Parmi les soldats de cette expédition, un jeune Italien, Bernardino Drovetti, est subjugué par la beauté des paysages et fasciné par les vestiges pharaoniques. Il revient en Égypte en 1802 en tant que consul de France ; dès les premiers mois de son séjour, il se ruine en objets antiques et se constitue une collection de première valeur. Dès 1815, c'est la « guerre des consuls égyptomaniaques » avec l'arrivée d'Henry Salt, consul d'Angleterre. Le tourisme de masse, initié en Égypte par l'agence Cook qui organise la première croisière sur le Nil à bord d'un bateau à vapeur en 1869, développe cette égyptomanie.

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Joseph Laurent Daniel Bouvier, L’Égyptien, XIXe siècle, Huile sur toile

Il y a comme une sorte d'engouement pour l'Orient au XIXe siècle. Maurice Barrès en 1923 écrit : « Je n'y vais pas chercher des couleurs et des images, mais un enrichissement de l'âme. ». Cet engouement se manifeste dans la littérature avec des œuvres comme Un Voyage en Orient (1851) de Gérard de Nerval, le Roman de la Momie (1857) de Théophile Gautier (une fresque littéraire sur une Égypte idéalisé), Salammbô (1862) de Gustave Flaubert, écrit après un voyage en Turquie et en Egypte en 1849-51. Mais l'attrait pour l'Orient semble prendre tout son sens dans les peintures magistrales et dépaysantes d'artistes comme Delacroix, Jean-Léon Gérôme et Ingres (ce dernier n'ayant pourtant jamais visité l'Orient).

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Jean-Léon Gérôme - Cléopâtre et César- 1866


Depuis le XVIIIe siècle et plus particulièrement depuis la campagne de Napoléon Ier, l'Égypte passionne tant les chercheurs que les amateurs d’art et d’antiquités. L’ouverture du Canal de Suez en 1869, l’essor de l’Orientalisme et la vogue des grandes expositions universelles généralisent cet engouement pour la Vallée du Nil et la richesse de son histoire. Source d’influence et de fascination, l’image de l’Egypte s’est ainsi déclinée de mille façons en Occident depuis plus de deux siècles, que ce soit dans l'architecture, les arts décoratifs, la peinture et la sculpture, la littérature et, plus récemment, dans le cinéma et la bande dessinée. On en retrouve les traces jusque dans les jardins zoologiques de Berlin, d’Hambourg et d’Anvers, où girafes et éléphants sont abrités dans des « temples » aux allures égyptiennes ! Des écrivains aussi célèbres que Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, despeintres, des photographes, des compositeurs comme Giuseppe Verdi, Sarah Bernhardt dans le rôle de Cléopâtre (1880, pièce de Victorien Sardou), n’échappent pas à cette mode. En 1922, la découverte spectaculaire de la tombe de Toutankhamon ravive encore cet imaginaire qui inspirera dans la foulée les créateurs de l'Art déco. La modernité s’empare du personnage mythique de Cléopâtre avec Elizabeth Taylor, dans le célèbre film de Joseph L. Mankiewicz, et invite à l’aventure avec Hergé et Edgar P. Jacobs, grâce aux planches de leurs célèbres albums (Les cigares du Pharaon, Le Mystère de la Grande Pyramide). Plus tard, c’est Astérix le Gaulois qui s’aventurera au pays des pyramides et de la reine légendaire…

L’homosexualité d’Alix et Enak a très vite surgit dans l’univers de la bande-dessinée.

L’égyptomanie séduit toutes les classes d’âge : l’enfant la découvre à travers des jeux et des livres à sa portée, où la momie occupe une place de choix ; l’adolescent la poursuit dans la bande dessinée ; l’adulte la retrouve enfin à travers mille et une créations au bon goût parfois incertain, qui ne l’empêchent pas d’effectuer volontiers vers elle un transfert de fascination.

Consommée en famille et utilisée comme moyen de paiement à Babylone, puis boisson des dieux en Égypte, la bière devint dans la Grèce antique et dans l'Empire romain celle du pauvre, et le vin celle des dieux. Elle resta cependant la boisson de choix des peuples du nord, celtes et germains. La préférence pour le vin se confirma dans l'Europe chrétienne au début du Moyen Âge.

Mozart l'Égyptien

Mozart l'Égyptien de Hughes de Courson est une oeuvre musicale sortie en 1998 qui fusionne la musique classique et la musique arabe tout en célébrant la rencontre musicale de l'Orient et de l'Occident. Les principales œuvres de Mozart y sont reprises, revues et transformées. Mozart l'Égyptien a connu un grand succès auprès du public.

L'argument: "Baignant dans l'orientalisme du XVIIIème siècle, franc-maçon fasciné par les mythes pharaoniques, Mozart aimait l'Egypte dont il s'est si souvent inspiré. Les Égyptiens aiment Mozart, son art de plaire ou d'envoûter, de passer du léger au sacré qui ressemble tant au talent des grands compositeurs Arabes. La musique Occidentale tempérée, riche d'harmonies de contrepoints, demande une écoute simultanée, "verticale" des sons. La musique Orientale au contraire fait se succéder sans jamais se superposer des mélodies finement ornementées, des modes et des intervalles subtils sur des rythmes complexes parfois asymétriques, et demande une écoute horizontale des sons, les uns après les autres. Pour tenter de marier cette horizontalité et cette verticalité, ce jeu musical propose une sorte de "diagonale du fou". Puisse l'auditeur nous pardonner de cette audace et éprouver le même plaisir qu'ont partagé les quelques 150 musiciens arabes et classiques qui se sont réunis autours de ce projet musical".

Cependant, le disque est loin d'avoir fait l'unanimité, en témoigne la critique très dure de Jacques Drillon dans le Nouvel Observateur : « ce n'est plus de la musique, c'est un bordel ».

Source

 

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Modèle de la collection Printemps-Eté 2004 de John Galliano pour Christian Dior Haute Couture, photo : Guy Marineau

La fascination de l'autre, l'exotisme

L'exotisme dans l'art est une attitude culturelle de goût pour l'étranger. Le phénomène se constate à plusieurs reprises dans l'histoire des civilisations en expansion.

Dans ce contexte de la fascination, l'Autre est donc nié en tant qu'être humain, d'abord parce qu'on ne le voit pas réellement tant il éblouit, et aussi parce que les caractéristiques qui lui sont arbitrairement attribuées, et qui fascinent, sont ses côtés dits « naturels », c'est-à-dire ce qui est le plus loin de la culture, entendons de la culture occidentale.

L'Autre a parfois les caractères de l'enfant, à ceci près que pour l'enfant, ce mi-chemin entre nature et culture n'est que provisoire puisque l'on attend de sa socialisation qu'elle l'amène totalement à la culture. Ceux que l'on a longtemps appelés « les primitifs » ont souvent été associés à des enfants, justement du fait de la socialisation qui resterait encore inachevée. A cela se rattachent des notions telles que l’infantilisation de certaines populations et le paternalisme d'autres.

On a l'impression que pour que l'attraction de l'exotisme s'exerce, il faut que l'Autre ne soit pas trop proche géographiquement, comme si le rêve, pour se nourrir, avait besoin d'une absence.

Bibliographie

  • Florence Quentin, Isis l’Éternelle, Biographie d’un mythe féminin (Ed. Albin Michel, 2012)
  • Les orientalistes, peintres voyageurs, 1828-1908Lynne Thornton, 1983/2001
  • Couleurs de la Corne d'Or, Frédéric Hitzel, 2002
  • Les OrientalistesChristine Peltre, Hazan, 1997
  • Les orientalistes de l'école italienne, Caroline Juler, ACR Édition Poche Couleur, Courbevoie, 1994, ISBN 9782867700767
  • Roger Caratini, L’égyptomanie, une imposture, Albin Michel, Paris, 2002, 264 p.
  • Jean-Marcel Humbert (dir.), L’égyptomanie à l'épreuve de l'archéologie : actes du colloque international organisé au musée du Louvre, par le Service culturel, les 8 et 9 avril 1994, Musée du Louvre Éd., Paris ; Éd. du Gram, Bruxelles, 1996, 697 p.
  • Jean-Marcel Humbert, L’égyptomanie : sources, thèmes et symboles. Étude de la réutilisation des thèmes décoratifs empruntés à l'Égypte ancienne dans l'art occidental du xvie siècle à nos jours, Université de Paris 4, 1987, 1 557 p. (thèse d'État).
  • Mario Perniola, Énigmes. Le moment égyptien dans la société et dans l'art, La Lettre Volée, Bruxelles, 1995.

Voir aussi

  • Culture égyptienne
  • XIXe siècle
  • Peinture orientaliste
  • L'orientalisme dans l'art européen
  • Cléopâtre
  • Art sur le Chemin de l'Orientalisme
  • Fondation Boghossian : Le baron Empain était fasciné par l'Egypte. Une exposition consacrée à l'égyptomanie se tient dans sa villa.

 

Rédigé par Last Night in Orient

Publié dans #égyptomanie, #Artistes du Paradis, #Histoire, #histoire de l'art

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C
C'est vrai que c'est une fascination que d'évoquer le nom de l'Egypte pour tout ce qu'il représente dans notre histoire, dans la mémoire collective.<br /> Bonne soirée<br /> @mitié
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L
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Liste des rubriques<br /> <br /> <br /> MFI HEBDO: Culture Société<br /> <br /> <br /> Liste des articles<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Livres : « L’égyptomanie » est-elle une imposture ?<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> (MFI) Que la civilisation égyptienne ait été l’une des plus grandes, nul n’en doute. Mais,<br /> certains en ont fait un fonds de commerce. Un spécialiste s’indigne.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Ah, l’Egypte ! Prononcez son nom et vous verrez s’illuminer les regards. Des pyramides mystérieuses,<br /> une écriture si pittoresque, et puis cette fascination pour le monde des morts et l’au-delà… S’il est un pays qui depuis l’antiquité fait fantasmer ceux qui l’évoquent, c’est bien celui-là.<br /> Et c’est justement contre ce sentiment si répandu que s’élève avec vigueur le livre de Roger Caratini. Car ce qu’il appelle « égyptomanie » s’apparente plus pour lui à une maladie – avec<br /> ses fièvres, ses obsessions et son monde clos – qu’à la vérité historique dont il veut se faire l’écho. C’est poussé par l’indignation que cet encyclopédiste renommé à qui l’on doit<br /> l’encyclopédie Bordas et des livres sur l’Islam ou le monde romain, a pris la plume. Sa démonstration permet de comprendre pourquoi.<br /> L’originalité de la civilisation égyptienne avait déjà séduit les Grecs, au VIIe siècle avant J.-C. Ceux-ci, explorateurs forcenés, avaient été surpris de découvrir qu’ils n’étaient pas le<br /> seul peuple civilisé à vivre dans cette région du monde. Hérodote écrira plus tard un livre qui lancera, déjà, une sorte de mode égyptienne qui conduira savants et commerçants grecs à se<br /> précipiter en Egypte. Plus tard, c’est à la renaissance qu’apparaissent en Europe des objets d’art égyptiens ainsi que des manuscrits encore illisibles. Leur aspect mystérieux ainsi que les<br /> descriptions des temples et des pyramides éveillent peu à peu un intérêt décuplé par l’incompréhension. C’est bien sûr avec l’expédition de Napoléon en Egypte, puis le déchiffrage des<br /> hiéroglyphes de la pierre de Rosette par Champollion en 1822 que l’engouement des orientalistes européens pour l’Egypte se déchaîne.<br /> Mais ce n’est pas contre cet intérêt légitime des savants et des archéologues pour une civilisation passionnante que s’élève l’auteur. C’est plutôt contre la voracité des pilleurs de<br /> mastabas, l’obsession des antiquaires véreux et la propension des agences touristiques à vendre un pays imaginaire alors qu’on ignore en fait à peu près tout de la véritable histoire de<br /> l’Egypte. En comparant cette civilisation à celle de la Mésopotamie ancienne où l’on connaît, grâce aux tablettes couvertes de signes cunéiformes, les moindres détails de la vie quotidienne<br /> des Sumériens (4000 ans av. J.-C.), Roger Caratini souligne combien au contraire on connaît mal la culture égyptienne. Ce sont bien les Sumériens qui ont inventé à la fois la vie sédentaire<br /> et l’écriture, et non, comme « l’égyptomanie » veut le faire croire, les Egyptiens. Et si les fresques des temples décrivent bien la vie des paysans des bords du Nil, il ne nous est<br /> parvenu, contrairement aux civilisations mésopotamiennes, aucun signe d’un système juridique, parlementaire ou social organisé. Selon l’auteur, si l’Egypte ancienne s’est ainsi, sur<br /> plusieurs millénaires, caractérisée par un immobilisme historique, c’est dû à l’isolement géographique et à l’inconséquence de pharaons qui ne cherchaient pas le bien de leur peuple mais<br /> bien plutôt la permanence de leur statut.<br /> Quant aux prétendus mystères égyptiens, ils ne tiennent pas face aux recherches approfondies des savants : en ce qui concerne les pyramides, constructions il est vrai d’exception, on<br /> connaît aujourd’hui à la fois les moyens techniques qui furent mis en œuvre pour les édifier, le nombre impressionnant – des dizaines de milliers d’esclaves et serviteurs – de personnes qui<br /> les construisirent ou encore l’architecture cachée de leur soubassements ainsi que leur signification religieuse. Les supposés mystères qui attirent, aujourd’hui encore, les partisans de «<br /> l’égyptomanie » ne reflèteraient donc que le désir forcené d’un Occident en mal de croyances magiques.<br /> <br /> Roger Caratini : L’égyptomanie, une imposture. Ed. Albin Michel, 264 p., 15,90 euros.<br /> <br /> <br /> <br />
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T
Je suis fasciné par l'Égypte ancienne mais aussi par les cultures Sud-Américaine.
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L
<br /> <br /> Coucou Tong, heureux de pouvoir partager cette passion avec toi également ! J'espère que tu vas bien ?<br /> <br /> <br /> <br />